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David Copperfield et l'hôtel Charlotte

Quand j'étais petit, j'étais un peu naïf comme beaucoup d'enfants. C'est d'ailleurs cette qualité que recherchent les illusionnistes pour faire effet. À ce petit jeu, je me remémore à la télévision différents numéros d'un certain David Copperfield : la muraille de Chine, la statue de la Liberté, l'évasion d'Alcatraz, la disparition de LearJet et d'un wagon. Son sens de la mise en scène lui a valu une renommée mondiale.

Il y a quand même un numéro qui m'avait marqué : celui de la démolition à la dynamite de l'hôtel Charlotte en Caroline du Nord. Dans ce spectacle à usage unique, on le voit s'évader d'un coffre-fort pendant que les figurants s'extirpent péniblement de l'immeuble qui va sauter. En tant que bambin, cela relevait pour moi de l'exploit.

Grâce à Internet, il est possible de revoir officiellement ce numéro (la minuterie ci-dessous y fait référence). L'idée de ce billet est de décortiquer tous les éléments qui méritent d'être remis en question parce que j'ai l'impression de m'être un peu fait avoir. Le besoin de vérité est vraiment facilité par les outils numériques d'aujourd'hui.

[01:00] Sortez le popcorn, les images vont être très impressionnantes : un immeuble qui s'effondre fait de gros dégâts. Le cadre est posé.

[01:36] «This is a sheet of polished stainless steel». Visuellement, c'est une affirmation probablement vraie. Seulement, cette plaque nous est présentée de nuit alors que le numéro a lieu de jour («the next day» à 02:00). Rien ne dit que la plaque restera celle-ci.

[01:40] Pour une plaque posée sur des tréteaux, le bruit ne semble pas très métallique.

[01:50] David Copperfield ne marche pas au milieu de la plaque. Ainsi, à longueur de bras, il n'est possible de contrôler que l'extérieur de la plaque.

[02:00] La pièce est volontairement laissée en désordre alors qu'il aurait pu être nécessaire de la ranger pour préparer le numéro. Cela renforce l'authenticité.

[02:12] Le coffre est épais, manifestement solide, discret intérieurement et on ne voit pas la face arrière. Il est donc probable que le magicien sorte par derrière.

[02:22] Ce plan sous-entend que la caméra filme en direct. C'est probablement vrai à cet instant uniquement.

[02:25] Le monsieur à la chemise à carreaux bien visible a un comportement très suspect. Pourquoi prend-il soin de passer sous la plaque en premier ? Ne feriez-vous pas seulement comme toutes les autres personnes, à savoir vérifier que la plaque est bien métallique sur l'extérieur ? Il pourrait aussi vérifier le centre mais non. Son contrôle est volontairement insuffisant mais suffisamment intrusif pour que d'autres personnes n'aient pas l'idée de revérifier après lui.

[02:42] Le boîtier jaune avec «Danger» écrit dessus fait instinctivement peur mais n'a aucun intérêt dans le processus de démolition. Tout doit être déjà monté et contrôlé depuis l'extérieur. S'il était vraiment responsable, cette personne serait affairée à contrôler la sécurité et à dialoguer avec le personnel. Il n'a pas de talkie-walkie, donc c'est un figurant.

[02:51] Les policiers arrivent. Pourquoi risqueraient-ils leur vie pour passer les menottes à David Copperfield à l'intérieur du bâtiment ? Quel intérêt a un policier à faire cela, sinon d'avoir sa responsabilité engagée si David Copperfield n'arrive pas à s'échapper et meurt ? Ces policiers sont faux et arrivent dans la pièce fort opportunément : ils auraient pu être là dès le début pour protéger les populations. David Copperfield leur demande s'ils ont examiné le coffre et s'ils l'ont fouillé. Évidemment oui mais l'habit ne fait pas le moine.

[03:06] Une caméra s'incruste mais rien n'indique son origine. L'ombre sur le coffre est assez marquée, donc peu raccord avec la réalité. Ensuite, plus personne ne passera devant la caméra pour éviter de trahir l'absence de flux direct.

[03:14] Sur les cotés du coffre, la chaîne passe à travers des anneaux, donc elle est mobile.

[03:15] L'ouvrier savait qu'il allait enlever sa veste.

[03:16] La caméra insiste sur la mise des menottes avec un plan dédié et un bruitage. Pourquoi n'est-ce pas un plan continu ? Il n'y a pas 40 caméras dans la pièce, donc il s'agit d'un montage, voire de plusieurs prises. De plus, les menottes ne sont pas identifiables : elles sont fausses et dégriffables avec un bouton sur le côté, ou il a déjà la clé dans sa poche (contredit verbalement par les faux policiers).

[03:33] La musique se met en marche avec une qualité audio excellente. Il n'y a pas de haut-parleur dans la pièce, donc David Copperfield n'en tire aucun bénéfice personnel. Et pourquoi la production tirerait-elle un câble jusque dehors pour enregistrer ce son ? L'atténuation est trop forte et l'appareil n'est pas assez puissant. En fait, la musique est ajoutée en postproduction, son volume varie au fil du numéro, et elle s'arrêtera tout juste avant la démolition. Est-ce un CD single de musique classique ?

[03:41] L'angle de vue est de plus en plus suspect. Il ne faut surtout pas voir ce qu'il y a dans le coffre. Tout est fait pour obstruer la sortie.

[03:53] Le coffre-fort est attaché «quite firmely»... par l'avant. On s'imagine que la chaîne en fait le tour mais personne ne le vérifie.

[03:59] Le policier maîtrise mieux les menottes que le cadenas : il tarde. Et comme la vue est bouchée sur la sortie de la pièce, David Copperfield en profite pour sortir par l'arrière du coffre. Il enlève ensuite ses menottes avec le bouton ou une clé. S'il a un complice dans le couloir, il se fait aider et, dans ce cas, le policier a pu dire vrai que David Copperfield n'avait pas la clé «sur lui».

[04:03] La vidéo s'affiche. À cet instant, le policier n'a pas la même position que sur la vidéo. Cela se voit avec les jambes et la main droite quand il s'écarte. C'est la plus grosse erreur du numéro.

[04:05] Les policiers se replacent et cachent la sortie de la pièce pour donner du temps à David Copperfield. Mais l'évacuation se fait par une autre sortie pour ne pas risquer de croiser l'illusionniste. C'est à ce moment qu'on constate qu'il a peu de caméras comparativement au nombre de plans coupés.

[04:10] La mise à feu se fait depuis l'intérieur, voilà qui est très original.

[04:24] Les lumières rouges ne sont d'aucune utilité. Pourquoi clignotent-elles dans le couloir et pas dans la pièce ? Elles ne sont tout simplement pas contrôlées et sont des éléments de décor.

[04:33] Le couloir donne une impression de longue distance à parcourir. Mais quand on évacue un immeuble, il vaut mieux savoir par où sortir. Le caméraman a-t-il couru autant à l'envers au point de ne pas voir tous ses collègues prendre l'escalier ?

[04:48] En se repérant par rapport l'escalier, ils ont pris un long couloir pour revenir sur leurs pas mais à l'étage inférieur. Par conséquent, ils n'évacuent pas en prenant le chemin le plus court.

[04:54] Pourquoi la petite caméra zoome-t-elle ? Son rôle est de contrôler le coffre. S'il doit s'ouvrir, on le verra. Dans le feu de l'action, il n'est pas possible de suivre les deux vidéos simultanément.

[04:58] En contre-jour, on distingue très rapidement un escalier qu'ils auraient pu prendre avant. C'est sûrement le raccourci qu'a pris David Copperfield en sortant par l'arrière de la pièce. Ne croyez pas que les policiers étaient entrés dans la pièce en prenant le chemin qu'ils ont pris pour sortir !

[05:00] Un homme crie pour évacuer des gens qui sont déjà en cours d'évacuation. Contrairement à son collègue, il ne tire pas un câble avec ses mains.

[05:01] Pour troubler les apparences, David Copperfield aurait pu sortir dehors en revêtant une protection de chantier très flashy. Un reportage cité à la fin indique que non, ce qui a été décrié par le public sur place.

[05:24] Ledit responsable du chantier est le dernier à descendre par les escaliers. C'est crédible.

[05:44] La main de David Copperfield apparaît. La chaîne peut glisser autour du coffre suite à la remarque faite en 03:14.

[05:56] À 3 cm près, la caméra heurtait la pelleteuse.

[06:16] La sirène de police n'a aucune utilité, ni de justification pratique à un moment pareil de la destruction du bâtiment.

[06:34] Fin de la musique. On aurait pu croire que le disque aurait cessé avec l'explosion.

[06:42] Le coffre ne s'ouvre pas. David Copperfield va mourir, suis-je niais !

[06:44] La camera tombe alors que la partie de l'immeuble où elle se situe est toujours sur pied.

[06:46] Nuage de points gris ou image toute noire : quel aurait du être l'affichage ?

[07:12] C'est là que le tour devient bien : il n'y a personne sous la table. On peut noter que la caméra n'a pas filmé la table sous un angle large. Selon les reportages, on peut supposer que l'illusionniste était sous la caméra pour rejoindre la table.

[07:30] Il y a des ombres étranges sur les tréteaux de gauche sous la table. La croix orange a failli s'envoler.

[07:51] Il pose enfin le pied et c'est très fort. Je n'ai pas compris comment il a fait.

[07:56] Il est un peu poussiéreux, car il a traversé le chantier en courant.

La vidéo est un commentaire de David Copperfield lui-même, mais sous couvert d'information, il continue de mentir pour préserver son tour. N'attendant rien, j'avoue ne rien avoir écouté de ce qu'il a pu raconter.

Finalement, il s'agit d'un très beau montage télévisuel qui a nécessité une grosse préparation et plusieurs prises selon ce commentaire. Pour de vraies informations sur le bâtiment, les riverains et une vue en contre-champ, il faut se référer à ce reportage TV de l'époque.

La magie à la télévision a un gros problème : son pouvoir de manipulation est gigantesque. On le verra dans une prochaine analyse avec le magicien DMC.

Posté par admin le 9 juin 2019 à 22:50 - Sciences
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